| |
|
Des réfugiés allemands fuyant les territoires orientaux
devant l'avancée de l'Armée rouge (1945). |
Les Expulsés, ces Allemands victimes de la guerre
L'historien américain R. M. Douglas évoque la «dégermanisation» de l'Europe
centrale après 1945. |
|
Combien furent-ils à mourir de froid, de faim ou de mauvais traitements au
cours de ce qui fut, selon R. M. Douglas, «le plus grand transfert de
population de l'histoire de l'Humanité»? De 500.000 à 1.500.000 selon les
estimations et parmi ces victimes beaucoup de femmes et d'enfants, qui
fournissaient le principal contingent de ces «Allemands ethniques» qui durent
quitter les pays, Roumanie, Hongrie, Yougoslavie, Pologne, Tchécoslovaquie, où
ils s'étaient installés, favorisés par la politique de «colonisation» du
3e Reich.
Trou noir de la mémoire européenne
Lorsque celui-ci s'écroule, les nouveaux États vont pratiquer une forme
d'épuration ethnique qui consistera à dégermaniser les zones libérées,
autrement dit à faire partir près de 13 millions d'Allemands. Cette sombre
affaire est, aujourd'hui encore, l'objet d'un tabou que brise R. M. Douglas
dans ce livre, Les Expulsés, qui fera date.
À travers une recherche fondée sur des masses de documents, l'universitaire
américain reconstitue ce trou noir de la mémoire européenne: les Allemands
furent aussi des victimes. Écartons l'ambiguïté: l'auteur, dont le travail a
été salué aussi bien aux États-Unis qu'en Allemagne, n'insinue pas que la
souffrance subie est «équivalente» au martyr des Juifs ou des Polonais tués
par les SS pour la seule raison qu'ils étaient Juifs ou Polonais. Mais un camp
de concentration reste un camp de concentration et c'est bien dans ce genre de
lieu que furent internés des centaines de milliers de gens avant d'être
rapatriés dans des conditions parfois atroces en Allemagne. L'auteur décrit le
sort de ces civils qui paieront dans leur chair les forfaits des nazis, en
particulier les femmes, massivement victimes de violences sexuelles. Il
rappelle que si les organismes humanitaires de l'époque, telle la Croix-Rouge
internationale, furent très actifs, les politiques fermeront les yeux.
Coupables d'être allemand
Pour le président tchèque Bénès, ces violences étaient, d'une certaine
manière, «cathartiques» : les Allemands récoltaient ce qu'ils avaient semé,
ils étaient devenus coupables du fait même qu'ils étaient allemands. «Suggérer
que certains crimes selon le droit international ne devraient faire l'objet ni
d'enquêtes ni de poursuites à cause de la sympathie qu'inspirent les coupables
et/ou du peu de sympathie qu'inspirent les victimes, c'est emprunter un chemin
dangereux», écrit Douglas, qui élargit sa réflexion sur les crimes
commis dans les années 1990 en ex-Yougoslavie. Pour lui, il ne fait pas de
doute que tout transfert forcé de population relève du crime contre
l'humanité. Un point de vue que contestent certains juristes qui les
justifient si la cohabitation intercommunautaire est devenue impossible.
Autant dire que ce livre est un pavé dans la mare d'un débat complexe
concernant les conflits qui peuvent éclater au sein d'un État qui ne parvient
plus à faire cohabiter des populations hostiles. Conflits dont l'auteur nous
dit qu'ils ne sont pas forcément derrière nous en Europe. A-t-il tort?
Les Expulsés de R. M. Douglas, traduit de l'anglais par Laurent Bury,
Flammarion, 510 p., 26 €.
www.Ostdeutsches-Forum.net/fr
|